« Nous étions dans la jungle. Nous étions trop nombreux. Nous avions à notre disposition beaucoup trop d’argent, beaucoup trop d’équipement, et petit à petit, nous sommes devenus fous. »                        

Francis Ford Coppola au Festival de Cannes 1979

Synopsis: 

En pleine guerre du Vietnam, le capitaine Willard (Martin Sheen) est envoyé en mission pour retrouver le colonel Kurtz (Marlon Brando). Ce dernier aurait sombré dans la folie, se repliant dans la jungle au milieu des indigènes. Willard et sa petite équipe remontent le fleuve  à sa recherche. 

Une chaleur écrasante, des pluies torrentielles, une brume opaque, des fumigènes psychédéliques, de l’alcool et de la drogue… Ce long voyage au bout du monde ne laissera personne indemne.  A mesure que nous nous enfonçons dans cette jungle mystérieuse et oppressante, les chuchotements macabres de cet enfer vert altèrent la réalité; tout se confond, même quand la caméra est coupée, la fable continue et l’équipe de tournage sombre petit à petit dans la folie.

Mars 1976, je rejoins mon père au Vietnam pour un des tournages les plus chaotiques de l’histoire du cinéma. Je viens de fêter mes 12 ans, mon père est chef-opérateur sur ce tournage difficile en pleine jungle. Je me lie rapidement d’amitié avec les enfants de Francis Ford Coppola. En effet, le célèbre réalisateur a fait venir toute sa famille. Sa femme, Eleanore Coppola,  en profite pour filmer son mari et l’équipe. En 1981 elle sort un documentaire “Aux cœur des ténèbres” qui dépeint les conditions cauchemardesques du tournage et la psychose qui a petit à petit gagné toute l’équipe. Malgré mon jeune âge, l’atmosphère de ce tournage est marquée au fer rouge dans ma mémoire. 

Le tournage doit durer 16 semaines. Il s’étalera sur plus d’un an avec 238 jours de tournage au total. Le tournage s’éternise à cause des conditions climatiques chaotiques. Les philippines sont frappées par un typhon qui détruit tous les décors et prive l’équipe de tournage d’électricité. Il faudra 6 semaines pour reconstruire toutes les infrastructures. D’autre part, le dictateur Ferdinand Marco, qui prête “gentiment” ses hélicoptères pour les besoins du film, doit les réquisitionner régulièrement pour contrer des attaques de rebelles, ralentissant davantage encore le tournage.

De nombreux acteurs emblématiques du cinéma américain refusent le rôle principal du capitaine Willard: Robert de Niro, Robert Redford, Steve Mcqueen, Dustin Hoffman, etc. Finalement, c’est Harvey Keitel qui récupère le rôle. Cependant, il ne va pas rester longtemps, puisqu’il se fait virer au bout de trois semaines. Coppola trouve qu’il joue admirablement mal et choisit Martin Steeve à la place pour incarner son personnage principal. 

Mais le plus éprouvant dans ce tournage est certainement la psychose qui s’est petit à petit emparée du réalisateur et de toute l’équipe. Qui est le plus fou? Le colonel Kurtz ou Coppola? La frontière entre les personnages et les acteurs se dissout lentement dans le fleuve Chavon. Au fur et à mesure que le réalisateur perd les pédales, l’équipe sombre dans la drogue et l’alcool. 

Dennis Hopper se drogue continuellement. Il décide d’arrêter de se laver pour rentrer davantage dans son personnage (le journaliste). Chef, interprété par Frederic Forrest, est également sous l’emprise de la cocaïne au moment où il se fait attaquer par un tigre dans une des scènes du film. Martin Sheen est complètement saoul quand il s’entaille véritablement la main sur un miroir au début du long-métrage. C’est Coppola lui-même qui a exigé qu’il s’enivre de manière à ressentir davantage de désespoir de son personnage. Autoritaire et paranoïaque, le réalisateur pousse ses acteurs à bout. Tant et si bien que Martin Sheen finit par faire une crise cardiaque. Les trois semaines où l’acteur est rapatrié pour se faire soigner, Coppola sombre un peu plus dans la folie. Il perd 40 kilos et clame vouloir se suicider à plusieurs reprises.

La palme de l’acteur le plus difficile revient, à mon humble avis, au très capricieux Marlon Brando. Il arrive sur le tournage avec quatre mois de retard et presque obèse. Il ne connaît pas une ligne de son texte et n’a même pas ouvert le livre de Conrad dont est tiré le film. Si les scènes avec Kurtz sont toujours tournées dans la pénombre ou en contre-plongé, c’est notamment pour cacher le surpoids de l’acteur. Précurseur de l’Actors Studio, le comédien ne veut pas réciter un scénario. C’est pourquoi il improvise ses monologues philosophiques, qui ont le mérite, je dois le reconnaître, de rendre encore plus mystique son personnage et plus mystérieux le film. Il sera ainsi payé 3 millions de dollars pour trois semaines de tournage et à peine quelques minutes à l’écran.   

Quand le tournage se termine enfin, le réalisateur a explosé son budget initial, 30 millions de dollars au lieu de 13. Il doit encore trier 250h de rushes et met ainsi deux ans pour monter son film. Quand il sort enfin, Coppola pense que son long-métrage est raté. 

Pourtant la critique est dithyrambique. Le film est ovationné et le réalisateur une nouvelle fois consacré. Il reçoit une palme d’or et deux césars. Le film est également un succès auprès du public et rapporte au total 150 millions de dollars de recettes. Le génie (ou la folie ?) de Coppola avait encore frappé!

J’espère que cet article t’a plu ! Maintenant que tu connais les dessous de ce tournage hallucinant, je t’invite à (re)visionner ce film mythique.