Aujourd’hui j’aimerais te parler de cinéma et de philosophie ! Je te propose dans cet article d’aborder le cinéma à la manière d’un philosophe. Or, comme tout bon philosophe en herbe qui se respecte, il te faut définir ton sujet: qu’est-ce que le cinéma ? Réponse courte: le processus qui aboutit à la production d’un film. Réponse longue: la suite de cet article. 

On peut commencer par interroger la finalité d’une telle production. Quel est le but d’un film ? Doit-il nous divertir, nous émouvoir, être beau, être rentable? Débarrassé des impératifs pécuniaires car n’ayant pas trait à l’essence même d’une chose (simple excédent pragmatique indispensable dans une société capitaliste), nous remarquons bientôt qu’un long-métrage semble se rapprocher d’une production artistique. L’art est désintéressé, il n’appelle aucun besoin de l’utiliser. Il partage donc avec le cinéma ce seul besoin contemplatif. Pour autant, le cinéma est-il de l’art ? Vaste problématique à laquelle nous allons essayer de répondre, épaulés par notre ami Hegel. 

Septième art ? Et si Hegel avait connu le cinéma.

Certainement as-tu déjà entendu cette expression “le septième art” pour désigner le cinéma. Mais pourquoi lui octroie-t-on cette place ? 

On doit cette expression au critique d’art Ricciotto Canudo. L’écrivain publie en 1923 le Manifeste du septième art dans lequel il attribue la sixième place aux arts corporels (la danse, le théâtre, etc) et la septième au cinéma. Il s’appuie alors sur les écrits d’un autre auteur, Hegel et son Esthétique. Le philosophe allemand distingue alors cinq arts, à savoir l’architecture, la sculpture, la peinture, la musique et la poésie. Pour Ricciotto Canudo, le cinéma est en quelque sorte une synthèse de tous ces arts, un art à la fois du temps et de l’espace; un art total. Et si Hegel avait connu le cinéma ? Quelle place lui aurait-il attribuée ? 

Hegel pour les nuls

Puisque nous envisageons de réfléchir à la place du cinéma dans les arts, et plus précisément dans le système imaginé par Hegel, nous devons d’abord rappeler les grandes lignes de sa philosophie de l’art. Ainsi, le philosophe regroupe l’art sous trois grandes formes: l’art symbolique, l’art classique et l’art romantique. Ces formes ne correspondent pas à des courants artistiques, bien au contraire, elles regroupent à la fois des civilisations et des époques différentes. Chacune s’intéresse à l’œuvre d’art en tant qu’elle représente l’Idée d’une certaine manière. Par exemple, pour représenter l’idée de l’amour, l’artiste pourra peindre deux amants, sculpter un cupidon ou composer une ballade. Ce qui intéresse le philosophe, c’est de comprendre quelle adéquation existe entre la forme que vont prendre l’œuvre d’art et l’Idée, c’est-à-dire, le contenant et le contenu spirituel.

Dans l’art symbolique, on observe selon lui une “inadéquation entre l’Idée et la forme que prend l’œuvre d’art. L’architecture, première des arts, appartient à cette première période de l’art. Par exemple, la forme extérieure des pyramides semble renfermer un contenu spirituel peu clair, caché au spectateur. Aussi, la forme extérieure est-elle peu adéquate car elle ne révèle pas la signification intérieure. En fait, le signifié est lui-même encore obscur. Un concept a besoin de temps pour se déterminer pleinement; et la forme d’une œuvre d’art ne peut manifester pleinement l’Idée, si cette dernière est toujours confuse pour elle-même. 

Dans l’art classique, le concept se précise et accède à une définition claire. Il s’investit alors pleinement de sa subjectivité. La subjectivité en philosophie est le caractère de ce qui appartient au sujet, se rapporte exclusivement à la personne plutôt qu’à l’objet. Notre subjectivité est donc ce que nous avons de plus personnel et aussi ce qu’il y a de plus spécifiquement humain en soi. Le deuxième art, à savoir la sculpture, est de cette manière la forme par excellence de l’art classique. C’est une période de l’art qui s’investit pleinement de sa subjectivité car elle s’inspire de la figure humaine. Cette forme artistique permet une adéquation parfaite entre l’Idée et la forme, le signifié et le signifiant. Par exemple, les contours extérieurs de la statuaire grecque sont immédiatement intelligibles. 

Dans l’art romantique, l’Idée poursuit sa quête de subjectivité et se détache petit à petit de toute matérialité au travers de trois arts particuliers: la peinture, la musique et la poésie. Aussi beau soit-il, le corps sculpté n’est pas capable de retenir la personnalité de l’homme. C’est pourquoi au sommet de ces arts romantiques on retrouve la poésie. Sa grandeur réside non pas dans la beauté sonore mais précisément dans le contenu des vers. C’est l’Idée qui est grande et l’élément matériel sonore de la poésie est dépassé par le contenu spirituel de la poésie. 

Te voilà désormais un fin connaisseur de la pensée hégélienne ! Comment pourrions-nous désormais introduire le cinéma dans ce système? Premier indice: la forme d’un film semble regrouper certains caractères propres aux arts de la forme romantique.